L’obstination de M. Sarkozy à se réclamer de Léon Blum montre qu’il ne connaît pas l’histoire, ou plutôt qu’il ne veut pas la connaître.Qu’il applaudisse aujourd’hui aux congés payés que personne ne remet en question est fort bien. Mais le fait est que la droite de l’époque a combattu les congés payés, qu’elle y a vu une sorte d’obscénité, le triomphe de « l’esprit de jouissance » que dénoncera quelques années plus tard le Maréchal Pétain. Un homme, soit dit en passant, qui célébrait beaucoup le Travail.
En fait, la droite n’a jamais pardonné à Léon Blum d’avoir réalisé les congés payés et les quarante heures, la semaine des deux jeudis. Elle a mené le combat contre lui au nom du travail : il fallait remettre la France au travail. C’est Paul Reynaud, ministre des Finances après Munich, qui s’en est chargé. Un petit homme, lui aussi, volontaire et libéral. L’abrogation des quarante heures fut son combat. Il le mena, comme aujourd’hui d’autres contre les trente-cinq heures, de façon idéologique. Le réarmement exigeait de faire sauter quelques goulots d’étranglement que provoquait une application trop stricte des quarante heures. Plutôt que des ajustements ponctuels, pragmatiques, Reynaud choisit une attaque frontale, systématique, à forte charge symbolique : par le décret-loi du 12 novembre 1938, il rendit obligatoire la semaine de six jours de travail.
Ce que cela signifiait, on le vit aussitôt chez Renault. On y travaillait quarante heures : cinq journées de huit heures, du lundi au vendredi. En application du décret-loi Reynaud, les horaires furent modifiés : sept heures du lundi au vendredi, et cinq heures le samedi matin. Le gain pour la production était nul. Mais les ouvriers seraient contraints de venir pointer le samedi matin. Naturellement, cette provocation les mit aussitôt en grève. Le gouvernement fit évacuer les usines et engagea des procès contre les meneurs. La direction décréta un look out et réembaucha les ouvriers individuellement. Comme ils avaient rompu leur contrat de travail en faisant grève, ils avaient perdu leur droit à quelques journées de congés payés. C’était autant de gagné. Et surtout, Renault ne reprit pas quelque deux mille meneurs. Reynaud avait remis la France au travail et l’ordre régnait dans les usines…
Si M. Sarkozy veut absolument se présenter comme l’héritier de quelqu’un, ce n’est pas de Léon Blum mais de Paul Reynaud.
Antoine Prost Professeur émérite à l’Université de Paris I auteur de « Autour du Front populaire » (Seuil, 2006)
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